OBJET D'ETUDE : CONVAINCRE, PERSUADER, DELIBERER

    Sujet incomplet, pouvant être utilisé comme exercice d'entraînement (Question / Commentaire / Invention)

Corpus

Texte 1 : Louis de Jaucourt : « article Presse »
Texte 2 : Ferdinando Galiani : Lettre à Mme d’Epinay sur la liberté de la presse
Texte 3 : Robert Darnton : « L’aventure de l’Encyclopédie »
Texte 4 : Pierre Augustin Caron de Beaumarchais : Le Mariage de Figaro, Acte V, scène 3.

1 - Question (4 points) :

1) Quel est le thème commun à ces textes du XVIII° siècle ? Soyez rigoureux : le thème que vous proposez doit être réellement présent dans TOUS les textes ! Justifiez votre réponse en vous appuyant sur les textes.

2) Parmi les trois auteurs du XVIII° siècle, il en est un qui ne défend pas la même thèse que les autres : lequel ? avec quel argument ?  
 

2 - Travail d’écriture (16 points) :

Commentaire : Commentaire composé de l’extrait de Beaumarchais.  

Dissertation
 : Sujet encore à trouver.

Invention : Imaginez la lettre dans laquelle Mme d’Epinay répond à F.Galiani . Selon le goût du XVIII° siècle, le ton sera à la fois spirituel et sérieux. Mme d’Epinay ne se contentera pas de réfuter, en plaisantant, l’argument facétieux de son correspondant : elle argumentera le point de vue des « philosophes », qu’elle partage.  

autre sujet possible :

    Pendant longtemps, un grand quotidien français a porté, inscrite "à la une" en guise de devise, cette formule célèbre tirée du monologue de l'acte V du Mariage : "Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur". Cette épigraphe ayant soudain disparu de la première page du journal, vous décidez de prendre la plume et d'adresser au courrier des lecteurs une lettre argumentée regrettant la disparition de cette référence. Rédigez cette lettre.



      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Séditions : émeutes, révoltes.

Libelles : écrits à caractère injurieux ou diffamatoire.
 

 

TEXTE 1 / JAUCOURT : Article « Presse » de « L’Encyclopédie » (1751-1772).

Le Chevalier de Jaucourt, médecin et homme de lettres, est avec d’Alembert l’un des principaux collaborateurs de Diderot dans le projet de l’Encyclopédie.

       PRESSE (Droit polit.). On demande si la liberté de la presse est avantageuse ou préjudiciable à un État. La réponse n'est pas difficile. Il est de la plus grande importance de conserver cet usage dans tous les États fondés sur la liberté, je dis plus, les inconvénients de cette liberté sont si peu considérables vis-à-vis de ses avantages, que ce devrait être le droit commun de l'univers, et qu'il est à propos de l'autoriser dans tous les gouvernements.    
       Nous ne devons point appréhender de la liberté de la presse, les fâcheuses conséquences qui suivaient les discours des harangues d'Athènes et des tribuns de Rome. Un homme dans son cabinet lit un livre ou une satire tout seul et très froidement. Il n'est pas à craindre qu'il contracte les passions et l'enthousiasme d'autrui, ni qu'il soit entraîné hors de lui par la véhémence d'une déclamation. Quand même il y prendrait une disposition à la révolte, il n'a jamais sous la main d'occasion de faire éclater ses sentiments. La liberté de la presse ne peut donc, quelque abus qu'on en fasse, exciter des tumultes populaires. Quant aux murmures, et aux secrets mécontentements qu'elle peut faire naître, n'est-il pas avantageux que, n'éclatant qu'en paroles, elle avertisse à temps les magistrats d'y remédier ? Il faut convenir que partout le public a une très grande disposition à croire ce qui lui est rapporté au désavantage de ceux qui le gouvernent; mais cette disposition est la même dans les pays de liberté et dans ceux de servitude. Un avis à l'oreille peut courir aussi vite, et produire d'aussi grands effets qu'une brochure. Cet avis même peut être également pernicieux dans les pays où les gens ne sont pas accoutumés à penser tout haut, et à discerner le vrai du faux, et cependant on ne doit pas s'embarrasser de pareils discours. 
       Enfin, rien ne peut tant multiplier les séditions et les libelles dans un pays où le gouvernement subsiste dans un état d'indépendance, que de défendre cette impression non autorisée, ou de donner à quelqu'un des pouvoirs illimités de punir tout ce qui lui déplaît; de telles concessions de pouvoirs dans un pays libre, deviendraient un attentat contre la liberté ; de sorte qu'on peut assurer que cette liberté serait perdue dans la Grande-Bretagne, par exemple, au moment que les tentatives de la gêne de la presse réussiraient; aussi n'a-t-on garde d'établir cette espèce d'inquisition.

 

 

 

Ferdinando Galiani (1728-1787), ambassadeur de Naples à Paris. Rappelé à Naples à la suite d'un incident diplomatique, il demeura en contact épistolaire avec le milieu des Lumières, en particulier avec Mme d'Épinay. Abbé de moeurs très libres, il laisse une oeuvre et une correspondance où brille l'esprit cher aux salons qui l'accueillirent.
Madame d’Epinay (1726-1783), marquise et femme de lettres , proche des philosophes, un moment protectrice de Rousseau.
Sublime oratoire : excellence en matière d'éloquence, qui élève et ravit l'âme des auditeurs.  
Remontrance
 :  discours, nécessairement respectueux, adressés au roi par les Parlements pour protester contre un édit ou une loi.

J.f.
: abréviation pour jean
-foutre, insulte.    
Crébillon :
écrivain libertin (1707
-1777) dont l'écriture joue délicatement de la suggestion dans les scènes érotiques.
Magnanime : d'une générosité qui se manifeste par le pardon.

 

TEXTE 2 / GALIANI : Lettre à Mme d'Épinay (24 septembre 1774).

        Dieu vous préserve de la liberté de la presse établie par édit. Rien ne contribue davantage à rendre une nation grossière, détruire le goût, abâtardir l'éloquence, et toute sorte d'esprit. Savez-vous ma définition du sublime oratoire ? C'est l'art de tout dire sans être mis à la Bastille dans un pays où il est défendu de rien dire. Si vous ouvrez les portes à la liberté du langage, au lieu de ces chefs-d'oeuvre d'éloquence, les Remontrances des Parlements, voici les remontrances qu'un parlement fera : « Sire, vous êtes un sacré j.f. ». Au lieu de ces chefs-d'oeuvre de polissonnerie du jeune Crébillon on lira, dans un roman, un amant dire à sa dame : «Je voudrais Mlle vous enfiler. »  fi l'horreur.

      La contrainte de la décence et la contrainte de la presse ont été les causes de la perfection de l'esprit, du goût, de la tournure chez les Français. Gardez l'une, et l'autre, sans quoi vous êtes perdus. Une liberté telle quelle est bonne, on en jouit déjà. Elle doit exister par le fait, et ne doit être fondée que sur les vertus personnelles du ministre tolérant, et magnanime. Par là la nation chérira davantage le ministre qui pardonne lorsqu'il pourrait sévir. Si vous accordez par un édit la liberté, on n'en saurait plus aucun gré au ministère et on l'insultera comme on fait à Londres. La nation deviendra aussi grossière que l'anglaise, et le point d'honneur (l'honneur le pivot de votre monarchie) en souffrira. Vous serez aussi rudes que les Anglais sans être aussi robustes. Vous serez aussi fous, mais beaucoup moins profonds dans votre folie. Bonsoir.  


 

 

 

Robert Darnton : Spécialiste américain de /'Encyclopédie, il  a consacré à cette oeuvre plusieurs ouvrages très documentés. Dans le passage qui suit, extrait de l'introduction de l'un d'entre eux, il évoque les obstacles historiques et politiques qui ont freiné les encyclopédistes.  
La guerre de Sept Ans : guerre qui opposa, de 1756 à 1763, la France à l’Angleterre et à la Prusse et qui aboutit pour la France à la perte de l’Inde et du Canada.  

Claude Adrien Helvétius : ami et mécène des encyclopédistes, partisan du matérialisme et de l’athéisme.  

Abbé Jean de Prades
 :
ecclésiastique et écrivain, collaborateur de l’Encyclopédie ; il fut accusé par l’Eglise de soutenir la théorie de la  « religion naturelle » : la foi serait accessible naturellement  à tous, sans qu’il soit nécessaire d’en passer par la Révélation du Christ et la connaissance du dogme catholique, comme le montre l’existence universelle d’une religiosité païenne
Privilège : autorisation accordée à un libraire d’éditer un ouvrage. 
Index : La mise à l’index est une procédure religieuse visant à interdire un ouvrage considéré comme dangereux.

 

 

 

TEXTE  3 / ROBERT DARNTON, « L'aventure de l'Encyclopédie » (1982)

 

La France traverse une sombre période qui a commencé avec l'attentat de Damiens contre Louis XV. Dans le pays déjà bouleversé par la guerre de Sept Ans, se répandent des rumeurs concernant les athées et les régicides. La couronne attise encore la crainte des conspirateurs par la Déclaration du 16 avril 1757 qui menace de mort quiconque écrira ou imprimera des articles contre l'Église ou l'État - en réalité tout écrit tendant à « émouvoir les esprits ». À ce stade, les anti-encyclopédistes ouvrent le feu par une propagande intensive non seulement en dénonçant les hérésies contenues dans les volumes 4 et 7 de l'Encyclopédie mais en les associant à un athéisme impudent qui, selon eux, éclate sans vergogne en public et avec l'approbation d'un censeur, lorsque Helvétius publie De l'Esprit en juillet 1758. L'ouvrage cause un scandale plus reten­tissant encore que la thèse de l'abbé de Prades et, bien qu'Helvétius n'ait pas collaboré à l'Encyclopédie, l'indignation se tourne contre l'oeuvre de Diderot. En janvier 1759, le procureur général du parlement de Paris avertit que derrière De l'Esprit se dissimule l'Encyclopédie et que derrière l'Encyclopédie se cache une conspiration pour écraser la religion et affaiblir l'autorité de l'État. Le Parlement se hâte d'interdire la vente de l'Encyclopédie et nomme une commission chargée de l'étudier.

            Cependant, bien qu'il eût donné la chasse aux sorcières pendant des siècles, le Parlement n'avait jamais pu se rendre maître de la parole imprimée en France. L'autorité appartient au roi qui l'exerce par l'intermédiaire de son chancelier, lequel délègue ses pouvoirs au directeur de la Librairie, en l'occurrence M. de Malesherbes. Le 8 mars 1759, le Conseil d'État réaffirme l'autorité du roi en reprenant en main la destruction de l'Encyclopédie. Il révoque le privilège de l'ouvrage et interdit aux éditeurs d'en poursuivre la publication, invoquant en manière d'explication la stratégie que ses auteurs ont employée : « Ladite Encyclopédie étant devenue un dictionnaire complet et un traité général de toutes les sciences serait bien plus recherchée du public et bien plus souvent consultée, et que par là on répandrait encore davantage et on accréditerait en quelque sorte les pernicieuses maximes dont les volumes déjà distribués sont remplis. » L'Encyclopédie est mise à l'Index le 5 mars 1759 ainsi que De l'Esprit; le 3 septembre, le pape Clément XII décrète que tous les catholiques qui en possèdent des exemplaires doivent les faire brûler par un prêtre s'ils ne veulent pas être frappés d'excommunication. Il est difficile de condamner plus totalement un ouvrage. L'Encyclopédie s'est attiré les foudres des plus hautes autorités de l’Ancien Régime et, pourtant, elle a persisté. Sa survie marque un tournant dans le mouvement des Lumières et dans l'histoire des livres en général.

   

 

 

 

Las d’attrister les bêtes malades … : Figaro plaisante sur son passage du métier de vétérinaire à celui d’auteur de comédies.
Je broche : je réalise rapidement.

Sérail : palais du sultan ; dans les mœurs du sérail :  à la manière orientale.
Subime-Porte : la Turquie.
Barca : la Cyrénaïque, région de la Libye actuelle.
Meurtrissent l’omoplate : allusion possible au fouet ou aux marques au fer rouge imposées aux prisonniers.
Recors : officier de justice.
Cuvé : calmé.  
Des corps en crédit : des institutions (corps de l’Etat) jouissant de considération.
Consoeurs : le mot désigne les danseuses et les chanteuses, favorites des grands, et dont l’influence pouvait être considérable.
Pauvres diables à la feuille : écrivains payés à la page.
On le supprime : on l’interdit.
Derechef : de nouveau.

 

TEXTE 4 / BEAUMARCHAIS : « Le Mariage de Figaro » (1783)  

A un moment particulièrement important de la comédie dont il est le personnage principal Figaro fait un bilan de sa vie dans un long monologue dont ce passage est extrait.
 

Las d'attrister des bêtes malades et pour faire un métier contraire, Je me jette à corps perdu dans le théâtre : me fussé-je mis une pierre au cou ! je broche une comédie dans les moeurs du sérail , auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l'instant, un envoyé... de je ne sais où se plaint de ce que l'offense dans mes vers la Sublime-Porte, la Perse, une partie de la presqu'île de l’Inde, toute l'Égypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d'Alger et de Maroc : et voilà ma comédie flambée pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l'omoplate, en nous disant : Chiens de chrétiens ! - Ne pouvant avilir l'esprit, on se venge en le maltraitant. - Mes joues creusaient, mon terme était échu; le voyais de loin arriver l'affreux recors, la plume fichée dans sa perruque : en frémissant, je m'évertue. Il s'élève une question sur la nature des richesses, et, comme il n'est pas nécessaire de tenir les choses pour en raisonner, n'ayant par un sol, j'écris sur la valeur de l'argent et sur son produit net ; sitôt je vois, du fond d'un fiacre, baisser pour moi le pont d'un château fort, à l'entrée duquel je laissai l'espérance et la liberté. (Il se lève). Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu'ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! je lui dirais... que les sottises imprimées n'ont d'importance qu' aux lieux où l'on en gêne le cours ; que, sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur, et qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. (Il se rassied.) Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me met un jour dans la rue et comme il faut dîner, quoiqu'on ne soit plus en prison, je taille encore ma plume, et demande à chacun de quoi il est question : on me dit que, pendant ma retraite économique, il s'est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui s'étend même à celles de la presse ; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois consoeurs. Pour profiter de cette douce liberté, j'annonce un écrit périodique, et, croyant n'aller sur les brisées d'aucun autre, je le nomme journal inutile. Pou-ou ! je vois s'élever contre moi mille pauvres diables à la feuille; on le supprime, et me voilà derechef sans emploi.

 

Le Mariage de Figaro, Acte V, scène 3 (extrait).